L’invité : Alexandre Audard, doctorant à l’université de Paris, auteur de Libertalia. Une République des pirates à Madagascar : interprétations d un mythe (XVIIe-XXIe siècles), Maisonneuve et Larose / Hémisphères, 2020.
Le canevas de l’émission
Le récit qui a fondé le mythe. Considérons L’Histoire générale des pirates, un texte paru en anglais, à Londres, en 1728, un texte signé Charles Johnson (édition française de 1903). Captain Charles Johnson, nom d’emprunt ou de plume. Différentes hypothèses au sujet du véritable auteur de ce texte (Daniel Defoe, 1661-1731, ou Nathaniel Mist, mort en 1737, imprimeur et journaliste jacobite, proche de Defoe ; l’auteur privilégie la première hypothèse). Deux chapitres de l’ouvrage consacrés à la fondation d’une république démocratique pirate du nom de Libertalia, à Madagascar. Pas de date précise donnée. Trois acteurs décisifs dans cette histoire : Misson (qui serait né en Provence), Caraccioli, un prêtre italien défroqué, et Tew. Au départ, il y a l’aventure du Victoire dont Misson devient, dans les Antilles, le capitaine, avec, à ses côtés, Caraccioli comme lieutenant. Se comportent comme des pirates (à bien distinguer de corsaires). Se dirigent vers l’Afrique. A Madagascar, dans une baie au nord-ouest de l’île, Misson décide, selon le récit, de fonder Libertalia. Misson et Caraccioli font la rencontre de Tew. Après diverses péripéties, Libertalia est détruite une nuit par deux armées malgaches. Caraccioli meurt sur place, Misson au large du Cap, seul Tew gagne l’Amérique, avant de mourir dans l’Océan Indien plus tard. Des traces de cette histoire auraient été conservées par un manuscrit ramené à La Rochelle (« Nous pouvons entrer avec précision dans la vie du capitaine Misson car – chance inouïe -, nous disposons d’un manuscrit en français où il expose lui-même le détail de ses actions », texte cité p. 120, manuscrit retrouvé dans les papiers de l’un des « Français de Misson », transmis à l’auteur par « un correspondant et ami », p. 121).
Comment appréhender ce texte. Un texte riche en couleur, avec des personnages forts. Un texte labouré par les littéraires, spécialistes des utopies, de la littérature de voyage, de Daniel Defoe, etc. Mais un texte négligé par les historiens, lesquels insistent sur la non-véracité du récit. L’idée défendue par l’auteur : « Même si cette république n’a jamais existé, certains éléments évoqués par le récit correspondent bien pour partie à des faits historiques et à des expériences individuelles plausibles qu’il s’agit de mettre à jour et de contextualiser » (p. 18). La démarche : ne pas chercher à démontrer que les événements du récit sont chronologiquement faux (d’autres l’ont fait) mais donner des éléments de compréhension permettant de cadrer et de contextualiser le récit. Le cadre général : il paraît réaliste (les pirates, les corsaires, l’océan Indien et Madagascar, les vagues de piraterie). Pourtant, les réalités locales sont méconnues. Des textes contemporains permettent de voir les réalités locales, pourtant. Lecture 1 (extrait d’un texte, cité p. 46, paru initialement en néerlandais en 1744, un texte signé Jacob de Bucquoy, d’après une traduction française de 1907). La place des femmes. L’économie de traite absente (ou presque) du texte, alors que l’île est au cœur de cette économie (les Hollandais pratiquent la traite à destination de la colonie de l’île Maurice puis de celle du Cap de Bonne-Espérance mais aussi de Batavia, les Anglais vers les Amériques et les Antilles, puis les Français à destination de l’île Bourbon). La question de la baie, mentionnée dans le récit de 1728, est-elle identifiable ?
La fabrication du mythe (1). Quelles représentations dans le récit de 1728 ? Un paradis perdu, inaccessible et dirigé par des pirates. Vision d’une nature idyllique et vierge, aux richesses insoupçonnées, vision qui s’exprime dans des récits antérieurs. Exemple : l’essai de Walter Hamond, Madagascar, l’île la plus riche et la plus fertile du monde, 1643, lecture 2 (extrait d’un texte traduit par l’auteur et cité p. 107). Une île fantasmée, dans le récit d’Etienne de Flacourt, ancien gouverneur de la colonie de Fort-Dauphin, auteur d’une célèbre Histoire de la Grande Isle Madagascar. Mais aussi une île inaccessible et mystérieuse, point de ralliement de pirates. La fabrique du récit. De multiples sources d’un narrateur immobile, en particulier les récits autour de la vie d’Henry Every ou le récit de voyage de François Leguat, un récit mis en forme par… Maximilien Misson. Qui est Maximilien Misson (1650-1721) ? A qui renvoie le prêtre défroqué Caraccioli ? Une synthèse de différents intellectuels désistes ou libertins, selon Jean-Michel Racault. Une référence à Galeazzo Caracciolio (1517-1586), calviniste italien ?
La fabrication du mythe (2). Au temps colonial (début XXe siècle), tisser un lien historique entre la France et l’océan Indien et Madagascar, fantasmer le temps des pirates. En quoi ? A expliquer, en prenant appui sur les travaux de Charles de La Roncière, Raymond Decary ou Hubert Deschamps. Quelle historiographie après 1960 et l’indépendance de Madagascar ? Relectures contemporaines du mythe. La République des pirates et mai 1968 : voir ce qu’en dit Gilles Lapouge (1923-2020), « La Victoire annonce la Sorbonne de mai 1968. Ce bateau prend l’allure d’un meeting ininterrompu » (Les Pirates vers la terre promise, 1ère édition, 1969). Vision libertaire et anarchiste de la piraterie, dans le prolongement des travaux d’Hubert Deschamps. Réappropriation du pirate par l’historiographie anglo-saxonne, dans une veine libertaire ou marxiste (Christopher Hill, 1912-2003, Marcus Rediker, né en 1951, historien étatsunien, spécialiste de la piraterie). Quelle lecture à Madagascar ? Lecture 3 (extrait du livre de Françoise Raison-Jourde, Madagascar. La Grande Ile secrète, Autrement, 2003).
Fresque « pirate », fresque datée de 2003, photographie prise en 2013 à Antsiranana (Diego-Suarez, Madagascar) par Alexandre Audard

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